Je suis plusieurs

© stockvault

Sortie en amoureux. Et si on allait au théâtre? Ça fait des mois… On se décide pour une pièce de Marjolaine Minot et Günther Baldauf: Je suis plusieurs. C’est un samedi soir à Nuithonie, un samedi gris.
La pièce commence par un cauchemar, un meurtre. On est focalisé sur le personnage principal, Pauline. Autour d’elle, sept autres personnages. Au début, on ne comprend pas très bien, c’est chaotique. Puis, peu à peu, on réalise que chaque comédien représente une petite voix intérieure, une part de Pauline. Et là, c’est un feu d’artifice. On se dit: « Ah ouais, c’est comme ça dans ma tête? C’est pas simple! » Le doute, les peurs, le contrôle, l’ambition, la joie, la tristesse, l’insouciance, la jalousie, le regret, les héritages transgénérationnels, le lâcher-prise, l’amour… Et j’en passe… Toutes ces parts de nous qui interagissent, influencent nos choix, guident nos actes… Laquelle prend le dessus? Y a-t-il une instance supérieure qui peut dominer toutes ces parts et décider sans être influencée? C’est compliqué la psyché humaine. On peut comprendre que ça ne tourne pas rond dans la caboche ou, au contraire, qu’on tourne en rond.
Après le spectacle, on a droit à un bord de scène. J’adore les bords de scène, surtout en amoureux. C’est un moment privilégié, une rencontre entre les comédiens, le metteur en scène et les spectateurs. Je trouve toujours intéressant d’ouvrir les yeux sur les processus créatifs: comment une idée parvient-elle à se concrétiser, à être incarnée par des comédiens, à être mise en scène?
Ce soir-là, un monsieur partage sa réaction spontanée: « Dites-moi! C’est vraiment comme ça dans votre tête? Vous entendez toutes ces voix? » A ce moment, je réalise que ce qui était une évidence ne l’était pas pour tout le monde. Que le monsieur verbalise son étonnement me fait prendre conscience que moi aussi, j’ai plein de parts, de petites voix que je n’aimerais pas entendre: « T’es nulle, tu ne vas pas y arriver », « surtout ne fais pas ça », « tu vas le regretter », « pourquoi t’es aussi timide », « ils sont tous plus compétents que toi », « tu n’es pas à ta place », « t’es complètement décalée », « putain, pourquoi tu ne dors pas ». Ces parts-là, qui crient plus fort que d’autres, font peur à tout monstre d’Halloween. Alors, j’ai cherché les voix positives. Une vraie partie de cache-cache! J’ai quand même pu les dénicher: « Allez, courage », « bien sûr que tu n’es pas plus conne que les autres », « carpe diem », « il y a toujours une solution », « ose », « eh, sois sympa avec toi-même », « tu peux te féliciter », « je crois que tu peux être fière de toi », « la roue tourne », « vois le positif », « pas besoin de Haribo, c’est beau la vie », « gracias la vida », « vas-y, fonce ».
Sympa, la soirée en amoureux! Dans tous les cas, je remercie le monsieur spontané de m’avoir fait réfléchir aux voix qui résonnent dans ma tête. Je donnerai plus de coffre à celles qui se dissimulent dans un coin perdu du cerveau… Moi aussi, je suis plusieurs. C’est un samedi soir à Nuithonie, un samedi illuminé.