Le vintage fribourgeois

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Parfois, j’ai l’impression de ne pas habiter la même planète que mes enfants. Je me sens perdue dans la galaxie de la nouveauté. Dans mon vaisseau spatial, je poursuis l’attraction du moment aussi rapide qu’une étoile filante. Je l’ai aperçue, essayé de la dompter vaguement un instant, mais cette dernière a déjà disparu. Mes enfants utilisent des mots que je ne comprends pas trop: mème, reel, discord, cheh, Quoicoubeh, … Le temps que je maîtrise ce vocabulaire, il est déjà obsolète. C’est comme la manette pour la console de jeu. Ma fille de 11 ans manie la chose aussi bien qu’un volant. Heureusement, je ne dois pas passer le permis de la manette. J’aurais été vite recalée. Sans parler des jeux vidéo: Minecraft, Fortnite, Civilization… Larguée, j’atterris comme je peux. Une météorite en chute libre, pas le temps de comprendre grand-chose.

Un week-end de juin, ma mère a organisé son déménagement et nous a demandé si nous pouvions l’aider. Trier sa vie, la mettre dans de nombreux cartons et la transporter dans son nouveau logement. Pas une mince affaire! Un passé rattaché à des objets peuple son quotidien. Parmi ces objets dont elle ne veut pas se séparer mais qu’elle n’utilise pas vraiment, certains sont presque devenus des collectors. Curieusement, ils attirent l’attention de mes enfants. Une platine avec des 45 tours des années 70-80, un Game Boy qui faisait le bonheur de ma soeur, un dictaphone SONY ressemblant drôlement au walkman de mon adolescence. Même si ces appareils appartiennent à une autre époque, mes enfants ne semblent pas perdus et savent instinctivement les faire fonctionner. Ils disent que c’est cool, que c’est vintage. Evidemment, il faut vivre avec son temps. Mon fils qui s’est approprié la platine, recherche des vinyles, plutôt des 33 tours. De la musique qu’il aime. Pas très différente de celle qu’on écoutait: Led Zeppelin, ACDC, Pink Floyd, les Beatles, … Comme la date de son anniversaire approchait, les idées de cadeaux ont été faciles à trouver. Encore fallait-il dénicher un magasin de vinyles… Et miracle! Fribourg peut se vanter d’en avoir un, tout au fond du boulevard Pérolles, dans un endroit culte de la scène musicale fribourgeoise. Ce fut la sortie du samedi avec ma fille qui voulait choisir un disque (ce mot est-il vintage ou démodé?) pour son frère. Mais la réelle motivation pour elle était de faire réparer le même jour le dictaphone-walkman qui n’enregistrait plus. Elle était convaincue que ça allait être trop génial d’enregistrer sa voix, de raconter des histoires à l’aide de ce truc qu’on appelle cassette.

La réparation du dictaphone-walkman m’a paru beaucoup plus ardue que de trouver des vinyles. Le père de mes enfants n’ayant pas pu régler la panne malgré sa bonne volonté, nous nous sommes rendues au Repair Café de Fribourg. Il nous a bien fallu 15 minutes pour le repérer dans un recoin du boulevard Pérolles. A ce moment, je dois avouer qu’une idée fulgurante a traversé mon esprit: « La Fnac n’est pas loin. Et si on dénichait un nouveau walkman? » Mais non, j’ai résisté aux sirènes de la tentation commerciale, le Repair Café s’offrant enfin discrètement à nos regards.

Nous sommes alors arrivées dans un atelier rempli de machines que je serais incapable de nommer et qui étaient entre les mains de bénévoles dévoués aux diverses réparations. La dame à l’accueil, avec son accent Schwizerdütsch a pris note de notre présence et, malgré notre inscription préalable, nous a informées qu’il faudrait patienter. Une autre dame nous a invitées à boire un verre et à déguster une part de gâteau du Vully. Installées sur un canapé chesterfield et entourées d’objets hétéroclites, nous avons patienté, patienté, et encore patienté. Ma fille qui commençait à en avoir marre d’attendre, devait sûrement partager la même idée fulgurante que moi, mais en moins commerciale: « On peut s’en aller? C’est pas grave! » Pour passer le temps, nous avons donc tournicoté dans l’atelier et observé les acharnés de la réparation. Nous avons aussi discuté avec les autres personnes qui poireautaient sur les sièges chesterfield: « Ah, vous venez pour une cafetière? Moi, c’est mon aspirateur qui me fait des misères. »

Enfin, notre tour est arrivé. Pleines d’espoir, nous avons jeté l’idée de la Fnac aux oubliettes. Cyril nous a accueillies et, en chirurgien de l’électronique, a disséqué notre dictaphone-walkman. Avec son poste à souder, il a dépecé les différentes pièces de notre vieil engin. Fasciné par la mécanique de l’appareil, notre informaticien en herbe est plutôt un spécialiste des smartphones, tablettes et PCs. Mais il a réussi à découvrir l’origine de la panne. Une courroie servant à faire tourner les moteurs avait fondu. Il était indispensable de la remplacer. En véritable MacGyver (ça aussi, c’est vintage!), il a essayé d’utiliser des caoutchoucs de différentes grandeurs, mais ils n’étaient pas assez souples pour devenir des courroies. C’est alors que la modernité est venue à son secours. En surfant sur son téléphone portable, il a retrouvé sur ebay la bonne courroie et l’a commandée pour 10 francs.

Pour retrouver notre dictaphone-walkman en forme, il faudra patienter toute la saison estivale. La période des soldes à la Fnac sera achevée. Cependant, nous espérons que notre appareil vivra une seconde vie. Tel un phénix, il pourra capter les pépiements de ma fille. il ne nous reste plus qu’à croiser les doigts afin que sa décadence ne soit pas aussi rapide que la trajectoire d’une étoile filante.

P.-S.: Novembre 2023, le dictaphone-walkman a retrouvé la santé. Déjà l’effet de nouveauté a passé. Il repose en paix sur l’étagère de ma fille et objet de décoration, il prend la poussière.