Au début de la nuit, mon mari et moi arrivons enfin dans notre village, après avoir passé trois jours en Italie. Nous découvrons qu’une immense tente blanche tout illuminée recouvre l’ancien stade de foot. Aurions-nous oublié une fête, une kermesse, un comptoir? Non, il s’agit de la patinoire qui a pris ses quartiers à la périphérie des habitations. Comme Espace Gruyère, lieu officiel de la patinoire est chargé en manifestations et expositions qui excluent la glace, l’AISG1 a trouvé une solution jusqu’à début janvier: installer une patinoire provisoire dans notre patelin pour les quatre cents hockeyeurs et patineurs, ainsi que les élèves de la région. Le coût de l’opération: 454’000.- pour la construction et 100’000.- pour son fonctionnement. Une bagatelle financière pour que les sportifs de la glace puissent continuer à s’entraîner et que nos écoliers chaussent leurs patins trois fois l’an. Cependant, les dépenses financières cachent les dépenses énergétiques. Il paraît que la tente frigo, peu isolée serait légèrement plus gourmande en énergie que la patinoire officielle. Pour avoir un point de comparaison, la patinoire de Schoren à Langenthal utiliserait 3000 kWh par jour2; ce qui serait un peu moins que les besoins annuels d’un logement de quatre pièces, avec cuisinière et chauffe-eau électrique (4500 kWh / an)3. Je me suis alors demandé si notre maison était énergivore. En une année, elle consomme environ 8000 kWh, un peu moins de trois jours de patinoire à Langenthal. Ma conscience écologique arrête de se réchauffer, je suis presque soulagée. Evidemment, j’ai voulu savoir si la consommation d’Espace Gruyère égalait celle de la patinoire bernoise. J’ai été rassurée d’apprendre que depuis 2015, une centrale solaire photovoltaïque installée sur le toit de notre patinoire officielle produit l’énergie que 140 ménages standards consomment annuellement4. Malheureusement, mes talents de détective sont limités et je n’ai pas réussi à percer le mystère de la consommation énergétique du lieu culte gruérien. Alors, bien qu’une patinoire dans mon village fasse le bonheur des enfants, je reste de glace.
Quelques jours plus tard, nostalgique des dolce italiens, je découvre une nouvelle spécialité glaciale sur la manchette du Matin: l’appétissant glacier Thwaites en Antarctique. Le réchauffement climatique en Arctique, on nous en parle depuis longtemps. J’étais un peu au courant. Je pensais que nos catastrophes écologiques actuelles et futures étaient liées au nord, au Groenland, à l’Arctique. Je n’avais pas pris conscience de l’importance du sud. Parce que les contrées méridionales pour une habitante de la Gruyère, c’est déjà l’Italie et non l’Antarctique où il fait trop froid. Malheureusement, il paraît qu’il ne fait plus si froid. Pour illustrer la situation à l’aide d’une comparaison, c’est un peu comme une grosse marmite qui bout et qui déborde: les courants chauds entraînent la fonte de la calotte glaciaire et le glacier Thwaites risque de se détacher du continent Antarctique. Là, on a intérêt à trouver des éponges super absorbantes, car à long terme, cela implique une élévation du niveau de la mer de plus de trois mètres. Le ménage sera alors conséquent: raz-de-marées désastreux, inondation de villes côtières et migrations de populations. On aura beau augmenter les éponges, New York, Londres, Tokyo et Istanbul seront inondées. Et ne parlons pas de Venise qui devra s’entraîner sérieusement à l’apnée! Depuis le temps que la marmite bout, nous ne pouvons pas dire que nous n’étions pas au courant. Il est clair que nous pouvons nous sentir plus ou moins concernés, puisque cela se passera dans plus ou moins longtemps.
Il y a quand même quelque chose de déconcertant chez nous, les hommes… Après les charmes d’un automne doux, aux premiers brouillards de novembre, nous nous impatientons déjà: à quand la neige? Vivement les canons et le snowfarming qu’on nous vend comme une solution écologique! Je suis perdue, je ne sais plus quoi penser, je reste de glace.
1. L’AISG est l’association intercommunale des sports en Gruyère.
2. Sources: https://www.20min.ch/fr/story/chaleurs-et-risque-de-penurie-jettent-un-froid-dans-les-patinoires-189282721327.
3. Sources: https://www.voenergies.ch/fr/faq/combien-de-kwh-d-electricite-consomme-un-foyer-suisse-en-moyenne.
4. Sources: https://www.espace-gruyere.ch/fr/a-propos/mission-et-valeurs/developpement-durable/.