Et la formation des femmes dans les prisons suisses?

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Depuis plus de trois siècles, les femmes en milieu carcéral peinent à faire reconnaître leur droit à la formation.

Un samedi d’avril, je me rends à Berne pour visiter l’exposition « A la recherche de la vérité » qui a lieu du 15 mars au 24 juin 2023, au Polit-Forum. Cet endroit dédié à la démocratie n’a pas toujours porté un nom aussi ouvert à l’expression des opinions. Bien au contraire… C’est dans la Tour des Prisons – der Käfigturm – au cœur de la vieille ville que le Polit-Forum a déposé ses valises. L’ancienne prison où l’on explore aujourd’hui les valeurs démocratiques, ne peut que redorer son blason. Tout en me baladant à travers l’exposition dont les thèmes sont le travail journalistique, la communication d’informations sérieuses et fiables permettant à chacun de se forger son opinion, je ne peux m’empêcher de penser aux nombreux individus emprisonnés qui ont dû raconter vérités et mensonges pour sauver leur peau. Mais surtout : des femmes ont-elles été enfermées dans la Tour des Prison alors réservée aux hommes ?

Entre 1618 et 1690, elles représentent un tiers des 389 cas. Parmi elles, l’aristocrate Catherine de Watteville. Un mélange entre Milady de Winter et Calamity Jane, parce qu’elle est une espionne du Roi-Soleil et qu’à la couture, elle a toujours préféré le cheval et les pistolets. En 1689, à l’âge de 44 ans, Madame de Watteville est arrêtée par les autorités bernoises et emprisonnée dans la Käfigturm : accusée de haute trahison à cause de renseignements fournis à la couronne française catholique alors que Berne est une ville réformée, elle est torturée, puis condamnée à mort. Grâce à l’intervention de sa famille puissante, l’espionne rebelle échappe à la décapitation, mais est bannie de la capitale. Elle passe le restant de sa vie au château de Valangin et dictera ses mémoires à son mari, Samuel Perregaux.

La vie à Valangin a dû être moins trépidante pour notre Milady helvétique qu’à Berne. Une forme de prison douce, qui effleure peut-être l’ennui. Cependant, un bannissement offre encore un grand espace de liberté. Si au 17ème siècle, un tiers de la population enfermée à la Käfigturm était féminine, qu’en est-il de nos jours ? En 2023, les femmes représentent 6% de la population carcérale. Un seul établissement pénitentiaire en Suisse est réservé exclusivement aux femmes : Hindelbank. Comme le château de Valangin, il est un peu perdu, en pleine campagne bernoise et accueille actuellement 107 détenues. En Suisse romande, il n’existe que des établissements mixtes. C’est pourquoi beaucoup de femmes sont envoyées à Hindelbank par manque de places. Un reportage de la RTS consacré aux femmes francophones détenues dans le pénitentiaire bernois dans les années 1980 montre les difficultés à endurer : la prison semble un lieu de désespoir et n’encourage pas à une future réinsertion dans la société, une fois les peines purgées. Les motifs pour lesquels les femmes sont condamnées ne sont pas aussi sérieux que ceux des hommes : vols, détention de stupéfiants, infractions du code de la route, escroqueries, abus de confiance. On parle rarement de meurtre. Pour les Romandes à Hindelbank, rien n’est facile. Les gardiens ne parlant pas français sont peu conciliants. Ces femmes se sentent alors rabaissées, abandonnées par leurs proches qui leur rendent visite très occasionnellement. Leurs affaires personnelles sont retirées, pas le droit au maquillage, l’uniforme est obligatoire. Dans leur cellule de 8m2, elles souffrent de solitude. Elles prennent leur repas entre quatre murs, pas de réfectoire pour cuisiner ensemble. Entre les repas, elles doivent travailler 9 heures : couture, tricot, petit cartonnage, buanderie industrielle, un peu de jardinage. Tous ces efforts pour 14 francs par jour : une partie utilisée pour de petits achats, une autre réservée à la sortie de prison. Après leur besogne, les détenues francophones ont le droit de faire de la gymnastique, du bricolage ou de suivre un cours de littérature hebdomadaire. Côté formation, cela laisse à désirer : il existe bien un cours gratuit en allemand, par correspondance. Pour un cours en français, il faut sortir le porte-monnaie. Tout de même, une fois par mois, c’est jour de fête : l’aumônier vient trouver les francophones et organise avec les intéressées un goûter-causerie. Vivre l’enfermement dans ces conditions engendre dépression, une perte de dignité et d’autonomie, ainsi qu’une peur du vide, de l’après-prison. Tel est le quotidien des femmes de Suisse romande, incarcérées à Hindelbank dans les années 1980.

A la même période, Goliarda Sapienza écrit L’université de Rebibbia, le récit de son séjour en prison à la suite d’un vol de bijoux. A Rebibbia, le centre carcéral romain sont enfermées les prostituées, les habituées des prisons, les droguées, les criminelles de droit commun, les « politiques » d’extrême-gauche. La saleté des cellules, la puanteur, l’angoisse face à des règles qu’on ne comprend pas, l’acceptation lente par les autres femmes, le manque de sommeil, la faim, autant de situations auxquelles Goliarda est confrontée. Néanmoins, pour l’auteure italienne, pas d’apitoiement, l’enfermement est aussi une leçon de vie, un espace où elle fait des rencontres extraordinaires et mène des conversations enrichissantes. Elle découvre le soutien entre femmes, les avantages du vivre-ensemble, car à Rebibbia, on n’est jamais seule dans une cellule. On cuisine, on discute, on dort ensemble, on porte ses propres habits, on se trouve du maquillage. Finalement, l’enfermement conduit à une réflexion profonde sur la société italienne sclérosée. On est plus révolutionnaire à l’intérieur qu’à l’extérieur de la prison.

Hindelbank n’est pas Rebibbia. Pourtant, de nos jours, les conditions de détention s’améliorent. Les femmes peuvent désormais cuisiner à plusieurs, faire du sport, accomplir une formation élémentaire, obtenir une AFP1 d’intendante. Quelques formations supérieures sont aussi proposées, par exemple, dans le domaine informatique. Des études ou des cours à distance sont mis en place par l’association « Lernwerk »2. Cela reste marginal3. Les apprentissages dans d’autres domaines que celui de l’intendance sont d’ailleurs impossibles à réaliser pour l’instant. Une détenue ne peut devenir menuisière ou électricienne à sa sortie de prison. La cuisine, la blanchisserie, le nettoyage et la culture maraîchère demeurent les secteurs professionnels dans lesquels une femme peut s’épanouir. C’est mieux que rien. Si la population carcérale est composée de 70% d’étrangers, les femmes issues de la migration et possédant un bagage scolaire léger ont de la chance de pouvoir suivre une formation de base en lecture, écriture, mathématiques, connaissances de base sur la vie quotidienne (santé, logement, consommation…) et sur l’emploi des outils informatiques à raison d’une demi-journée par semaine4. Et pour le reste de la population carcérale, que doit-on en déduire ? Est-il suffisant d’achever une formation élémentaire ? Les formations supérieures ou universitaires ne répondent-elles pas à un besoin ? Ou sont-elles inadaptées aux établissements pénitentiaires ? 

La formation en milieu carcéral soulève encore bien des questions. Catherine de Watteville a été enfermée à la Käfigturm, torturée et finalement bannie. Grâce à son héritage culturel, son bannissement a dû lui paraître moins amer. A l’image de l’aristocrate bernoise, les femmes incarcérées à Hindelbank, quelle que soit leur origine, pourraient aussi vivre une sortie de prison plus douce, parce qu’elles ont suivi une formation élémentaire ou supérieure durant leur temps de détention. Retrouver le goût de la vie, envisager l’avenir plus sereinement, s’intégrer sur le marché du travail sont des challenges que toutes prisons devraient offrir aux personnes incarcérées, en particulier aux femmes motivées à se réinsérer dans la société sans subir trop de souffrances et de discriminations.


Sources:
– Sapienza Goliarda, L’université de Rebibbia, Le Tripode, 2019.
– Ullrich Peter, bulletin info, Coup de projecteur : Les femmes en prison, Office fédéral de la justice, Unité Exécution des peines et mesures, 2015.
– https://blog.nationalmuseum.ch/fr/2018/05/lespionne-du-roi-soleil/
– https://www.letemps.ch/opinions/vaut-peine-continuer-former-detenus
– https://www.polit-forum-bern.ch/fr/turmbuecher/
– https://www.rts.ch/archives/tv/information/ouvertures/3472051-prison-pour-femmes.html
– https://www.srf.ch/play/tv/reporter/video/das-frauengefaengnis?urn=urn:srf:video:76d3c841-61d4-4f67-8fbe-a6e5acb4262c


1. Une AFP est une attestation fédérale de formation professionnelle qu’on obtient après deux ans de formation, alors qu’un CFC – certificat fédéral de capacité – s’acquiert après trois ans.

2. « Lernwerk » est une association qui aide les adultes et les jeunes à intégrer le milieu professionnel.

3. Depuis l’entrée en vigueur du Code pénal en 2007, la formation et la formation continue revêtent la même importance que le travail auquel les détenus sont astreints par la loi.

4.  Il s’agit de la formation FEP (« plan d’études pour la formation de base dans l’exécution des peines »).