Histoires à saisir au vol

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L’expression « voler de ses propres ailes » signifie, à travers la métaphore de l’oisillon quittant le nid maternel, trouver son indépendance, subsister par ses propres moyens. Mais si on donne à la locution verbale la définition de « commettre un larcin en toute liberté », on l’apprécie beaucoup moins. Surtout quand elle devient réelle. C’est ce qui est arrivé à des amis vivant à quelques rues de chez nous. Le coup classique: un soir avant les fêtes, personne à la maison, effraction et vol d’argent liquide, de bijoux et de deux ou trois bricoles. Juste de quoi agrémenter le repas ou le sapin de Noël des malfaiteurs… Pour les victimes, ce n’est pas très drôle, agaçant, légèrement traumatisant si des enfants habitent les lieux, beaucoup de formalités administratives… Un vol parmi tant d’autres, on est loin du polar palpitant. La police aura vite classé l’affaire.
Pour redonner le sourire à mes amis, je vais leur conter des histoires de vols qui, je l’espère, seront un peu plus insolites, des récits partagés par d’autres amis alsaciens. Trois anecdotes en tout: deux sur la nature du vol et une dernière sur une manière recherchée de dérober discrètement du matériel dans un magasin.
La première se passe justement en Alsace, dans le secteur de Kaysersberg, réputé pour son Riesling. Imaginez-vous qu’un type a réussi à déplanter mille pieds de jeunes plants de vigne chez cinq propriétaires différents1. Comment a-t-il pu réaliser un tel exploit en toute discrétion? Je le vois bien, le type, en pleine nuit, avec sa frontale et sa pelle, creuser la terre pour voler des ceps, les déposer dans sa camionnette et les replanter quelque part. Il s’avère que le brigand n’est autre qu’un viticulteur des environs qui s’est dénoncé lui-même à la gendarmerie. Son geste reste incompris. Une des cinq propriétaires reconnaît qu’elle perdra quelques bouteilles de Riesling. Elle demande alors réparation: remboursement des plants, temps de travail dépensé pour rien, perte de récoltes, production moins importante. Le voleur de ceps doit bien regretter de ne pouvoir préparer une future cuvée extraordinaire et de trouver son verre de vin souvent vide.
La deuxième anecdote a pour décor les Hautes-Alpes. Un apiculteur dépose plainte: on lui a volé 96 ruches2. J’imagine la scène: à nouveau vol durant des heures sombres, combinaison de l’apiculteur teinte en noir pour ne pas se faire repérer, un enfumoir avec du nitrate d’ammonium pour endormir l’essaim énervé et toujours une camionnette pour transporter les ruches. On a de la peine à y croire. Pourtant, les ruches prennent de la valeur à cause de la surmortalité des abeilles et de la hausse du prix des essaims qui valent 100 euros en 2019 et 180 euros en 2021. Une ruche rapporte environ 600 euros à un apiculteur. Joli pactole pour le voleur: 96 ruches x 600 euros. C’est plus lucratif que de jouer à la loterie… Rassurez-vous: en Suisse, les vols de ruches sont beaucoup moins fréquents. Par exemple, en dix ans, 24 ruches valaisannes ont disparu3. Mais si vous redoutez de perdre vos petites abeilles, vous pouvez jouer à l’inspecteur Gadget en ayant recours à de la vidéosurveillance, en marquant vos ruches au laser ou en les équipant d’un traceur GPS. Rien ne vous échappera…
Enfin la dernière anecdote! Cette fois-ci, ce qui est volé n’est pas extraordinaire: des vélos électriques. Cependant, après le Covid, le vélo a le vent en poupe et arrive une pénurie à chaque bout de la chaîne de production. Alors, du côté de Dinan, en Bretagne, dans la nuit du 21 au 22 janvier 2022, un casse exceptionnel a lieu4. Pour vous mettre dans l’ambiance, il faut que la musique de Mission impossible résonne dans vos oreilles. Hommes de noir vêtus, cagoulés, une échelle dans un fourgon. Les voleurs avec une telle ingéniosité ne peuvent venir que du sud de la France. Pour commettre un tel larcin incognito, autant venir de très loin. Et pour vous, lecteurs, autant vous imaginer un chef de bande au physique de Tom Cruise avec un fort accent marseillais. Aux alentours de 3 heures du matin, les cambrioleurs font sauter le toit du magasin de vélos, puis font descendre un grappin pour saisir les vélos qui se trouvent en dessous. Le système d’alarme les empêche d’embarquer un grand nombre de deux roues. Néanmoins, ils raflent un joli butin de quatre vélos électriques, en sachant que le plus cher du magasin a une valeur de 10’000 euros. Que se serait-il passé, si leur casse s’était produit un mois plus tôt? On se serait retrouvé à la période des fêtes de Noël. Je pense que l’anecdote aurait pris une autre tournure, parce que sur le toit, les voleurs auraient rencontré une autre personne:
– Aïe! Père Noël, qu’est-ce que tu fous là?
– Salut collègues! Ben, j’fais mon boulot. C’est Noël, je vais profiter du trou que vous avez fait dans le toit pour déposer mes cadeaux.
– Toi, tu fais des cadeaux au magasin de vélos?
– La vie est dure pour les mécaniciens sur vélo. Je leur apporte des broutilles pour qu’ils puissent faire leurs réparations.
– Père Noël, c’est une galéjade?
– Non, je suis sérieux. Et vous? Vous me faites une galéjade? Vous êtes là pour chouraver des bicyclettes?
– Non! Qu’est-ce que tu crois? On est juste en entraînement commando.
– Alors, ôte ta cagoule! Je m’en fous de ce que tu me racontes, je veux juste voir ta tête.
– On vous demande, à vous, d’ôter votre barbe?
– Arrête de m’emboucaner avec tes histoires de fadas! Fais ce que je te demande! J’aime savoir à qui j’ai affaire.
– Mais si je fais ça, l’autre, là-haut, il va me reconnaître?
– Qui l’autre là-haut?
– Ton pote! Dieu!
– Dieu, mon copain? Qu’est-ce que tu es naïf! Il peut pas me blairer, Dieu. Il se plaint qu’il n’y a plus personne à la messe de Noël, que je lui pique tous ses clients. T’as vraiment rien à craindre! Enlève-moi cette cagoule!
Le chef de la bande s’exécute, enlève lentement sa cagoule.
– C’est pas vrai! Ugolin, t’as pas honte? Après avoir volé la source à la petite Manon, tu te permets de récidiver avec des bécanes électriques?
– Comme tu dis, les temps sont durs. Faut bien qu’on gagne sa vie…
– Vous êtes vraiment des brèles! On peut gagner de l’argent autrement, sans grappin et déguisement de Mission impossible.
– Super! Pour toucher un Smic? Merci Macron! On va s’user la peau du cul plus longtemps pour pas grand-chose.
– Ok, les gars. Je compatis, j’irai allumer un cierge pour vous dans la maison de mon ennemi. Vous vous faites combien d’argent avec un casse?
– Entre 20’000 et 25’000 euros qu’on partage entre les trois. T’as mieux à proposer?
– Evidemment! Je suis le père Noël, les cocos! Ces jours, je suis débordé, j’ai besoin d’aide. Je vous propose d’être mes sosies pendant deux jours. En contrepartie, vous toucherez 40’000 euros chacun.
– Tu plaisantes, Papet Noël?
– Non, j’suis sérieux. Pendant deux jours, je fais de vous ce que je veux. Après, vous êtes libres et repartez avec vos 40’000 euros.
– Marché conclu, si ce n’est pas une galéjade!
C’est ainsi qu’Ugolin et ses copains accomplissent leur première mission pour voler de leurs propres ailes: devenir les meilleurs pères Noël marseillais pendant deux jours5.
J’espère que mes amis ne rencontreront pas de faux pères Noël gruériens qui pourraient embarquer leurs vélos plus simplement qu’à l’aide d’un grappin. Je souhaite juste qu’ils retrouvent sourire et confiance pour profiter de la magie de Noël.

Chers lecteurs, je vous souhaite également de belles fêtes de fin d’année. Que sérénité, moments de joie en famille et histoires à partager au coin du feu vous accompagnent!

1. Source: https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/vol-de-pieds-de-vignes-dans-le-haut-rhin-un-viticulteur-se-rend-aux-gendarmes-2098273.html
2. Source: https://www.ouest-france.fr/societe/faits-divers/vol-de-ruches-le-phenomene-prend-de-l-ampleur-entre-apiculteurs-5991372e-96c7-11eb-8638-69c56106f3d4
3. Source: https://www.rhonefm.ch/actualites/insolite-des-apiculteurs-valaisans-victimes-de-vols-de-ruches-et-dabeilles
4. Source: https://actu.fr/bretagne/dinan_22050/a-dinan-les-voleurs-de-velos-passent-par-le-toit-on-pensait-etre-a-labri-dans-une-rue-passagere_48223565.html
5. Cet article de blog mêle évidemment réalité et fiction. A vous de mener l’enquête pour démêler les fils narratifs! ; )