Les culottes des petites filles

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Quand j’étais petite, j’aimais porter les culottes sur lesquelles était imprimé le jour de la semaine. Généralement, un dessin accompagnait le mot: un petit chat, une princesse, une fée, un cheval (la licorne n’étant pas encore à la mode), un soleil, une étoile, une fleur. Sept jours, sept culottes différentes. Le concept était plutôt sympa. Le côté pédagogique du sous-vêtement n’était pas à négliger non plus. On pouvait apprendre les jours de la semaine grâce aux culottes. Une fois vos petites affaires rangées dans un tiroir, vous preniez le premier slip de la pile. Pas le temps de réfléchir, vous deviez vous dépêcher pour aller à l’école. Malheureusement, le jour imprimé sur le sous-vêtement enfilé rapidement correspondait rarement au calendrier. Il arrivait souvent que vous portiez la culotte « samedi » un lundi matin. Quelle déception! Vous n’échappiez pas à vos obligations scolaires. Le jeu du pioche-culotte n’était cependant pas aussi innocent. Il induisait déjà une notion d’ordre, d’organisation et de planification chère aux femmes: lundi-machines à laver, mardi-plier le linge, mercredi-taxi pour les enfants, jeudi-repasser le linge, vendredi-ménage, samedi-faire les courses, dimanche-jour du Seigneur. Alléluia! Une petite fée divine a enfin réalisé un voeu presque pieux: droit au repos mérité. On peut par conséquent se demander si les culottes journalières ne sont pas un exemple candide de la fameuse charge mentale des femmes. Ne vend-on pas du rêve aux petites filles, alors qu’elles ne galoperont jamais sur un cheval unicorne, une marguerite à la bouche et une baguette magique à la main? Cette pensée farfelue et très féministe m’évitera un achat compulsif de sous-vêtements. Il est hors de question que je soumette ma fille à la dictature de la petite culotte journalière. Je préfère qu’elle laisse traîner ses slips sales sur le parquet de sa chambre. Qu’elle profite de ses dix ans! Il est dur d’échapper à la charge mentale de nos vies hyper organisées. Mais à dix ans, la vie est belle. C’est bien plus tard que planification et planning ressembleront peut-être à un pilulier semainier: pas le droit à l’erreur, tout est programmé.
En ce qui concerne le rangement des sous-vêtements, je ne suis pas certaine que les garçons fassent mieux. Ils laissent aussi traîner leurs caleçons décorés de voitures, fusées, monstres, Spider-man, Batman… C’est tout de même bizarre… Je n’ai encore jamais vu des caleçons où le jour de la semaine était imprimé en plein milieu des parties génitales… Malheureusement, je crois que j’ai écrit trop vite: en fouillant un peu sur le Net, j’ai découvert qu’il existait aussi un semainier de caleçons pour les petits mecs. Dans un premier temps, j’ai trouvé l’idée chouette et novatrice: on initie enfin les garçons à l’ordre et à l’organisation. C’est bingo pour l’avenir: la charge mentale sera répartie équitablement entre l’homme et la femme. Pendant que l’un passera minutieusement l’aspirateur dans toute la maison, l’autre ira à la Migros acheter des yoghourts nature bio. Dans un deuxième temps, je me suis demandé si cette première réflexion n’en cachait pas une autre plus sournoise… Si Batman est accompagné d’un lundi, Spider-man d’un mardi…, les petits mecs ont de quoi rêver et se prendre pour des super-héros toute la semaine. Elle est où la charge mentale? A part ne pas manquer sa mission quotidienne de défoulement! Non, l’égalité n’est pas dans les slips. J’ai pourtant bien cherché dans les rayons de la Migros: les yoghourts nature bio sont faciles à dénicher, mais je n’ai encore jamais trouvé des culottes pour filles avec les jours de la semaine et des Wonder Women. On ne vous vend que de la princesse et de la licorne. Dans tous les cas, il resterait un gros problème à résoudre: il est facile de citer une ribambelle de super-héros. La tâche est plus ardue s’il faut faire une liste de super-héroïnes. Je connais Wonder Woman, je pourrais rajouter timidement Storm, Black Widow ou Captain Marvel. Pas de quoi tenir la semaine avec une lingerie si peu fournie! La révolution des dessous et de la charge mentale féminine n’est pas prête d’éclater…