Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, je décide d’aller manifester à Berne. Je me dis que c’est important. Je peux écrire des articles à tendance féministe, tranquillou chez moi, mais manifester est une démarche collective. C’est comme chanter dans une chorale: chacune a sa voix et s’accorde aux autres pour faire émerger un chant audible et puissant. Je suis convaincue que je ne vais pas aller manifester seule à Berne, que des copines gruériennes vont aussi défendre nos droits. Le coeur y est, mais malheureusement pas le choeur. Alors cavalière au parapluie, qui surgit seule hors de la nuit, je cours prendre mon train en direction de la capitale helvétique1. On ne sait jamais: peut-être qu’à la pointe de mon pépin, je pourrai dessiner un F qui veut dire Femme sur le ciel gris menaçant de ce 8 mars.
Arrivée à la Bahnhofplatz, je me rassure: il y a beaucoup de femmes, du violet, des parapluies. Dans la foule, au gré des gouttes de pluie, je retrouve Sophie, une collègue de radio RaBe. On attend, on piétine, impatientes de se mettre en marche. Enfin, le « cortège » démarre. On suit le camion, on chante, on crie des slogans féministes, on écoute des discours, on soutient les femmes iraniennes, les femmes en exil, les femmes dans les asiles de requérants. Tout à coup, la solitude me pèse moins et je réalise la chance que j’ai de pouvoir manifester dans la rue sans craindre pour ma sécurité. En route, je croise d’autres copines de RaBe. On écoute toujours attentivement les voix qui revendiquent les droits de nous tous·tes, on rigole, on mange un sandwich que le collectif organisateur a préparé pour les manifestant·e·s. Et on se pose tout de même la question: « Où sont les femmes de notre génération? » Celles qui ont un métier convenable, des enfants bien éduqués, un joli bouquet sur la table de la salle à manger, un mari / compagnon qui mesure ses pulsations avec sa montre high-tech et un planning familial complet jusqu’à fin décembre.
Où sont les femmes?
Avec leurs gestes pleins de charme
Dites-moi où sont les femmes
Femmes, femmes, femmes, femmes…2
Patrick Juvet, les cherchait déjà en 1977. Les années 70, ma génération. Ce 8 mars, des femmes, des jeunes étaient présentes. Pour certaines, j’aurais presque pu être leur mère. Mais les femmes de ma génération, où sont-elles? Pensent-elles que leurs droits sont acquis? Ou au contraire, qu’il ne sert à rien de se battre?
Heureuse d’avoir fait partie de ce choeur de femmes éphémère, je reprends le train pour regagner mon village gruérien. Il est déjà tard et sur mon natel, je peux regarder le téléjournal de la RTS en replay. Un reportage met en lumière les différentes mobilisations en Suisse romande. J’ai adoré le mur de la honte fabriqué avec des cartons de chaussures et décoré de slogans évocateurs . Une initiative des Jurassiennes de Delémont qui ont détruit leur construction à 15h24, horaire symbolique pour montrer qu’à partir de ce moment-là de la journée, les femmes travaillent gratuitement. Egalité salariale, retraite décente, conditions des femmes à l’étranger, autant de causes qui ne nous laissent pas indifférent·e·s. Cependant, nous avons encore le temps de répéter, de boire du thé au miel et de chauffer nos voix. Le 14 juin, le concert sera encore plus beau: faire grève, chanter dans un immense choeur, s’égosiller en revendications féministes, vivre un moment de partage. Je suis convaincue d’une seule chose: on n’entendra pas la chanson de Patrick Juvet.
1. Propos inspirés du générique de Zorro, George Bruns – Norman Foster, Guy Bertret – André Salvet, 1961.
2. Juvet Patrick, Où sont les femmes?, album: Paris By Night, 1977.