Un samedi après-midi, dans le chef-lieu de la Gruyère. Toujours à la dernière minute, avant que les magasins ferment, mes enfants et moi avons une mission à accomplir: dénicher un cadeau d’anniversaire pour tata. Heureusement, la circulation n’est pas trop dense et nous nous garons facilement sur la place du Marché. A pied, nous traversons l’endroit qui est désert. Soudain, notre attention est dirigée vers le kiosque à musique, d’où s’échappent des cris énergiques et forts. Nous remarquons qu’un jeune homme avec ses écouteurs roses danse et s’exclame bruyamment à l’exécution de certains mouvements vifs ou au rythme de sa musique que nous imaginons. Mes enfants regardent, étonnés, le jeune homme et trouvent qu’il a la pêche. Ils ne prononcent aucun jugement, ils observent. Nous continuons notre chemin, amusés, et allons faire les boutiques du centre-ville.
Cinquante minutes plus tard, satisfaits d’être aussi rapides pour dégoter un cadeau, nous retournons sur la place du Marché: notre danseur téméraire est toujours là, increvable. Il saute, il crie, il vit à fond son moment. Mon fils est enthousiaste:
« Waouh, il est en forme, le danseur! Depuis cinquante minutes, il fait la même chose. »
Ma fille commente quand même la situation:
« Il est un peu bizarre, le monsieur. »
Je me dis que je lui dois une explication pour qu’elle comprenne:
» Tu sais, le garçon n’est pas tout à fait normal. Il est trisomique.
– C’est quoi trisomique? me demande-t-elle en toute innocence. »
A ce moment-là, j’ai regretté de ne pas être prof de sciences. J’avais des souvenirs de grossesse et de dépistage chez la gynécologue. Comment expliquer la trisomie 21 à une petite fille de dix ans? J’étais au coeur de la place du Marché, en pleine galère.
« Alors, tu vois… notre ADN… enfin, tu comprends… ce qui est dans les cellules de notre corps est constitué de chromosomes. Quand tout va bien, nous avons tous les chromosomes comme il faut. Mais lui, le jeune homme, ses chromosomes sont un peu différents. C’est pourquoi il n’a pas toute sa tête. Mais il va très bien! En fait, c’est même cool. Moi aussi, j’aimerais pouvoir chanter, crier, danser sur la place du Marché sans avoir peur du regard des autres. Il vit ses émotions à fond et ça, c’est plutôt sympa. Tu ne trouves pas? »
Ma fille ne sait pas trop quoi répondre. Cependant, elle regarde, toujours fascinée, le danseur du kiosque à musique. Mon fils sourit et pour mettre en valeur le danseur, il rajoute:
« C’est physique ce qu’il fait! «
Je ne peux que sourire aussi et me dis: « C’est sûr, mon coco! Tu ne tiendrais pas la cadence. Qu’est-ce que je rêverais de porter des écouteurs roses sur la tête et de me défouler en pleine ville! »
Un samedi après-midi, sur la place du Marché, un jeune homme danse.
Sur la place du Marché
